Biodiversité et valeur paysagère : quel liens entre la diversité spécifique et la valeur esthétique des paysages ?

Lecture de l’article: The shared landscape: what does aesthetics have to do with ecology? Gobster PH,  Nassauer JI et Daniel TC. 2007.  Landscape Ecology 22: pp 959–972

Le concept de « paysage » recouvre une variété de notions différentes et parfois antagonistes. Pour le sens commun, le mot « paysage » renvoie à la valeur esthétique d’un lieu, et à la notion de plaisir procurée par la contemplation de ce lieu. Pour les écologues, le terme « paysage » renvoie à une certaine échelle d’analyse, intermédiaire entre le très local et le global.

Si pour le sens commun l’échelle du paysage est implicitement définie comme l’échelle perceptible « d’un seul coup d’œil », pour les écologues, l’échelle « paysagère » s’insère dans une série d’échelles emboitées les unes dans les autres comme autant de poupées russes, chacune étant le siège de processus écologiques spécifiques dépendant pour partie des échelles inférieures et déterminant pour partie les échelles supérieures.

Les interrelations entre le paysage « esthétique » et le paysage « écologique » sont complexes et mouvantes. Ainsi, les êtres humains perçoivent le paysage au moyen d’organes sensoriels tels que la vue, l’ouie, l’odorat etc… qui ont des caractéristiques spécifiques et sont capables « d’apprécier » le paysage à une échelle donnée. Ces perceptions sensorielles « objectives » sont ensuite relues de façon affective comme procurant plaisir ou déplaisir, en fonction du bagage culturel, ou psycho-social des individus. En retour, les modalités de gestion des territoires sont souvent dictées par la valeur affective attribuée aux paysages. Ainsi, un paysage apprécié sera plus facilement considéré comme méritant d’être conservé, même si à l’inverse, il fera aussi plus souvent l’objet de sur fréquentation et sera plus facilement au cœur de conflits d’usages. Il sera nettement plus compliqué de lever des fonds pour assurer la conservation de paysages peu appréciés esthétiquement par le grand public. Ultimement les modalités de gestion des territoires auront des effets écologiques non seulement à l’échelle paysagère mais aussi aux échelles supérieures et parfois inférieures, en raison de ce fameux emboitement d’échelles décrit précédemment. C’est donc le fonctionnement de l’écosystème dans son ensemble qui sera affecté par les décisions de gestion prises à l’échelle paysagère, puisque chaque échelle écologique fonctionne en interrelation avec les échelles inférieures et supérieures. Le paysage esthétique résultant en dernier lieu du paysage écologique modifié par la gestion humaine représente le bouclage de cette boucle « esthético-écologique » autour du paysage.

Comme on l’a vu, la valeur esthétique des paysages dépend en premier lieu de la perception sensorielle « objective » de ces paysages par les individus, et en second lieu des filtres culturels et philosophiques qui permettent d’attribuer des valeurs affectives positives ou négatives aux paysages. « Objectives» entre guillemets car ce que nous êtres humains percevons des paysages au moyen de nos sens n’est en fait qu’une fraction limitée des processus complexes qui contribuent au sein des écosystèmes à façonner le paysage tel que nous le voyons, le sentons ou l’entendons. En dépit de ces limitations congénitales, l’expérience sensorielle est fondamentale dans la genèse des sentiments engendrés par les paysages : il est très différent d’admirer une photographie même très artistique d’un paysage et d’être soi-même sur place, faisant l’expérience sensorielle concrète de ce paysage. L’intervention de filtres culturels et philosophiques dans l’appréciation esthétique du paysage contribue également à complexifier les relations entre paysage esthétique et paysage écologique. Mais l’existence de ces filtres permet aussi au « système paysage » d’être élastique et adaptable, puisqu’on peut par l’éducation à l’environnement par exemple faire évoluer les mentalités et les aspirations du grand public, et créer ainsi des synergies entre qualité écologique et qualité esthétique des paysages.

Finalement, la correspondance entre qualité écologique et qualité esthétique du paysage ne va pas nécessairement de soi, mais il ne tient qu’aux gestionnaires et aux politiques d’imaginer des synergies entre les deux notions. On pourra imaginer des modes de gestion combinant des objectifs esthétiques et écologiques, ou bien mettre en place des programmes de sensibilisation à l’écologie et à la préservation des espèces par exemple. Les artistes, musiciens, plasticiens, philosophes pourront aussi contribuer à faire évoluer les références esthétiques du grand public et faciliter la convergence entre paysage esthétique et paysage écologique.

Marie Baltzinger

  Les lecteurs intéressés peuvent consulter l’article original en suivant ce lien :

http://www-personal.umich.edu/~nassauer/Publications/Gobster%20et%20al%202007%20Aesthetics%20and%20Ecology.pdf

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